Noosphère 2 : court



Voici quelques exemples de formes courtes en poésie : haïku, coplas, rubayat, proverbes, fragments, citations et petits poèmes du monde entier...

Sans doute à ne pas lire à la suite les uns des autres !

  • Savinien de CYRANO de BERGERAC, Le rossignol...
  • Alain KERVERN, Tro Breizh : en notre faim, notre commencement
  • Pierre TANGUY, Haïku du chemin en Bretagne intérieure
  • Yves GERBAL, Haïkus de Provence
  • Coplas andalous
  • Alexandre ROMANÈS, un peuple de promeneurs

  • Savinien de CYRANO de BERGERAC

    Le rossignol, qui du haut d'une branche se regarde dedans, croit être tombé dans la rivière. Il est au sommet d'un chêne et toutefois il a peur de se noyer.

    Cité par Verlaine, dans ROMANCES SANS PAROLES, romance IX


    Alain KERVERN
    Tro Breizh : en notre faim, notre commencement

    A chacun de nos pas
    fin et commencement
    l'éternité s'ébauche

    La muraille d'Arré
    contient avec peine
    l'immensité de l'aube

    Nos certitudes avancent
    au rythme de la marche
    le doute naît à l'étape

    Dans les rêves flottants
    au-dessus des dormeurs
    ceux-ci marchent encore

    Arrachée aux guérets
    l'alouette
    culmine

    Sur la pointe des pieds
    à Commana
    l'étoile des Bergers

    Le jour qui monte
    nourri
    des litanies d'un merle

    Pris au piège
    d'une averse
    tant d'odeurs libérées

    En Lieue de Grève
    ne pas réveiller le dragon
    qui rouille dans les collines

    Un ressac sans fin
    traverse
    mon sommeil

    Point du jour
    à nommer chaque chose
    le merle s'enivre

    Quel rêve de guérison
    nous a jetés
    sur la route des quêtes ?

    La rencontre
    est-elle sur le chemin ?
    a-t-elle déjà eu lieu ?

    De flaque en flaque
    passent les nuages
    et la marche des saints

    Jamais sur le mur
    de la danse macabre
    ce jour ne reviendra

    un grand bonheur parfois
    sort du paysage
    et marche à nos côtés

    Corbeaux et mouettes
    se disputent
    la tunique du couchant

    Deux mille marcheur
    se retournent soudain :
    la lune

    Cachée au fond de nous
    une aube se relève
    à chaque départ

    Au fil de nos pas
    tant de réponses
    s'effilochent

    Un arbre
    ce qui demeure du ciel
    dans l'oeil

    Round-baller
    arrêté dans sa course
    vers la lumière

    De l'aurore au serein
    donner corps en marchant
    au mystère d'être là

    Traversée
    du sous-bois
    à voix basse

    Mille ans de sainteté
    au pied de la croix
    une pie-noire heureuse

    Calvaire
    dignostic minéral
    d'un état de grâce

    L'aveu
    d'une coquille d'escargot vide
    de n'avoir rien à dire

    Grenouille parcheminée
    aplatie sur l'asphalte
    ce monde est-il le seul ?

    Sur le pré
    la foule en prière
    et les blés en écho

    A l'intérieur du silence
    le temps
    s'efface peu à peu

    Autour du cierge
    l'ombre
    fait de grands gestes

    Tro Breizh : en notre faim, notre commencement, Skol Vreizh, 2001
    Peintures, Jean-Claude FAUJOUR
    Haïku, Alain KERVERN
    Texte, Projet pou une iconostase, Fanch MORVANNOU
    Préface, Anne GUILLOU


    Pierre TANGUY
    Haïku du chemin en Bretagne intérieure

    L'épaule blanche
    Des jeunes filles
    Premiers jours d'avril

    Tohu-bohu des poubelles
    L'oiseau de six heures
    A suspendu son chant

    Herbe grasse après la pluie
    Elle s'étonne la vache
    Qu'on la regarde brouter

    Pétales de cerisier
    Sur les capots des voitures
    Plus tard les feuilles mortes

    Seul sur le chemin
    Le frémissement des peulpliers
    Le chant de la roue

    Pédale, pensant au petit homme
    Qui prenait peur loin de la maison
    En s'enfonçant dans les taillis sombres

    Poussée par le vent
    L'odeur de grillade
    Traverse l'étang

    Sur les pages de mon carnet
    Ouvert dans l'herbe
    Une fourmi bien affolée

    Il jongle devant son enfant
    Avec un ballon jaune
    Papa fait le beau

    Carré blanc sur la couverture
    La lune ronde
    A traversé la vitre

    Soleil de septembre
    Je chauffe mon dos
    Assis sur le tronc d'arbre

    Sur la pointe des pieds
    Je m'empare des mûres
    Que les gosses n'atteignent pas

    Petites hélices
    Au bout des branches
    Mais le nom de l'arbre ?

    Goëlands sur la rivière
    Loin de la mer
    Tempête sur la côte

    Étang gelé
    Les enfants jettent des cailloux
    Qui flottent

    Giboulés et vent frais
    Les vieux lisent au chaud
    Dans leur véranda

    Les oiseaux s'époumonnent
    À combattre
    Le ronflement de la tronçonneuse

    Haïku du chemin en Bretagne intérieure, La part commune, (16, quai Duguay-Trouin 35000 Rennes), 2002


    Yves GERBAL
    Haïkus de Provence

    Le ciel la mer le vent
    Eux aussi
    Ont l'accent

    Bien à l'abri
    L'escargot
    Regarde la pluie

    Par-dessus les tribunes
    Le soleil se couche
    J'ai loupé le but

    Qui la fait rire
    La fille au téléphone
    Un si beau cul !

    Rien ne résiste
    Au vent
    À part les goélands

    Le vent
    Lave plus blanc
    Les rochers

    Silence dans l'arène
    Le taureau
    Se fait attendre

    La ville a chaud
    Attention
    Les seins trouent les tee-shirts

    Entre la jupe
    Et le tee-shirt
    Son nombril me regarde
    [il aurait pu écrire : me fait de l'oeil]

    Le mistral
    Se régale
    Entre leurs cuisses

    À la sortie du virage
    La mer
    Inonde le pare-brise

    L'insoutenable légèreté
    Des robes
    L'été

    L'amour est plus doux
    À l'abri
    Des persiennes

    Pendant l'amour
    Le chant des cigales
    Et après aussi

    Ciel d'été
    Pas assez de place
    Pour toutes les étoiles

    Le coeur de l'été
    Qui bat en moi
    Encore une fois

    Elle lit
    Les seins nus
    Je la regarde

    Les voiles affalées
    Sont des robes tombées
    Je rêve

    Même les pierres
    Ont brûlé
    Même les pierres

    Haïkus de Provence, Editions Autre temps / Fondation regards de Provence, 1999


    Coplas andalous

    Le jour où tu naquis
    un morceau de ciel tomba ;
    jusqu'à ce que tu meures
    le trou y restera.

    Les étoiles du ciel
    n'y sont pas au complet
    car ma belle en son visage
    garde les deux principales.

    Pour ton regard, une rose ;
    pour deux oeillets, un baiser.
    Quand veux-tu ma toute belle,
    que je te donne mon jardin ?

    De ma maison à la tienne,
    il n'y a qu'un pas, ma brune ;
    mais de la tienne à la mienne,
    ah, que le chemin est long !

    Quand serons-nous, mignonne,
    tels les pieds du Seigneur :
    l'un au-dessus de l'autre
    un petit clou entre les deux !

    Tous les hommes en naissant
    ont au front une inscription,
    écrite en lettres de feu,
    qui dit : "Condamné à mort".

    Au commencement du déluge
    tous les hommes allaient joyeux,
    se répetant les uns aux autres
    - Quelle bonne année nous aurons !

    Un jour Dieu voudra peut-être
    que Pâques tombe un vendredi,
    et la lune sur ton toit,
    et moi dans le lit où tu dors.

    Si je savais quelles pierres
    mon amour foule dans la rue,
    je les mettrais à l'envers
    pour que personne ne les foule.

    Ne pense pas que je t'aime
    parce que je regarde ton visage ;
    beaucoup vont à la foire
    pour voir, mais n'achète rien.

    D'une côte d'Adam
    Dieu créa la femme,
    pour laisser aux hommes
    cet os à ronger.

    Ta mère ne dit rien :
    elle est de celle qui mordent
    avec la bouche fermée.

    Coplas, poèmes de l'amour andalou, traduit de l'espagnol par Guy LÉVIS MANO, Allia (16, rue Charlemagne 75006 Paris), 2001


    Alexandre ROMANÈS
    Un peuple de promeneurs

    Délia :
    "La télévision est bizarre : elle nous parle toujours du Pape, et jamais du Christ."

    Je suis souvent dans la lune. Il m'arrive de quitter la pompe à essence ou le restaurant sans payer. Comment expliquer, quand on est gitan, que l'on n'a pas voulu voler ?

    À l'école, je ne sais pas ce qui était le plus pénible : les cours, ou la récréation, avec les enfants qui criaient et qui couraient dans tous les sens.

    Moi qui était si misogyne, je ne fais que des filles. Dieu m'a donné une bonne leçon que je méritais et il m'a fait un grand cadeau que je ne méritais pas.

    En Espagne, les tigres de mon cousin Roland s'étaient échapés. On les retrouve tous, sauf un. Après quinze jours de recherche, on le retrouve dans une ferme à l'écart, tenue par une vieille femme. Quand on lui a demandé si elle n'avait pas eu peur du tigre, elle n'a rien compris. Elle trouvait qu'il mangeait beaucoup de poules et qu'il était bien gros, mais elle voulait le garder. Jamais, disait-elle, elle n'avait vu un chat aussi beau.

    Mon cousin Roland allait chez le dentiste avec une corde, il lui disait : "Monsieur, ou vous m'attachez, ou vous prenez le risque d'être battu."

    Un travesti à côté du cirque, il est jeune et beau, on dirait une fille. On finit par sympathiser, je lui demande un jour ce qu'il faisait avant. "Avant, me dit-il, j'étais berger dans les Pyrénées." Quelle tristesse.

    Liana, trois ans. toujours à chanter et à danser. C'est sympathique mais je n'en peux plus.

    Délia :
    "Qu'est-ce qu'elle est gentille ma fille : on dirait une petite vieille."

    Je donne une interview pour la télévision française. Le journaliste commence très fort : " Vous les Gitans, vous êtes des voleurs." Je lui demande s'il est français. Il me dit que oui. Je lui dis : "Vous les Français, vous avez volé la moitié de l'Afrique. Curieusement, on ne dit jamais que vous êtes des voleurs."

    Gilbert Houcke : "un homme, c'est beaucoup plus féroce qu'un tigre. Un tigre, tu lui donnes quinze kilos de viande et il est repu, un homme, tu le couvres d'or et il en veut encore."

    Genet : "En tout cas, il y en a un qui serait bien embêté si le Christ revenait." Moi : "Qui ça ?" - "Le Pape."

    J'aurais donné beaucoup pour écrire : "Je suis de la race qui chantait dans les supplices."

    On s'était arrêté avec les caravanes près d'une rivière. Mon père s'est baigné avec son pantalon et sa chemise. Je l'ai regardé d'un air amusé. Quelques années plus tard, j'étais au bord de la mer. J'ai fait la même chose : ça m'a paru évident.

    Si je dois être avec des imbéciles, hommes ou femmes, je choisis les femmes : c'est moins lourd.

    La phrase qui m'a le plus impressionné : "Tout ce qui n'est pas donné est perdu."

    Mon père, ce colosse, le revoir à travers ma fille de trois ans... Comment ne pas être touché ?

    La neige, le vent, les étoiles : pour certains ce n'est pas assez.

    Un peuple de promeneurs, Le temps qu'il fait, 2000


    Créé 19/01/03
    Noosphère 2, 2003
    noosphere2@chez.com